Glossaire

Ce glossaire propose un éclairage sur différentes notions clés de ce cahier de propositions pour des politiques des communs.

Action publique

La notion d’action publique doit ouvrir un accès à la pluralité des scènes sur lesquelles se joue la mise en forme collective du travail et du non-travail. En donnant accès à un espace public qui ne se réduise pas aux institutions établies, cette notion autorise une étude de la structuration de l’État et de l’espace public qui prenne en compte les attentes et les activités que les personnes déploient à divers niveaux. Elle permet d’appréhender l’évolution des lieux et des modes d’exercices de la solidarité sociale, plus généralement de la manière dont s’articulent les questions du travail, du lien social et de l’identité politique.

Arrangement institutionnel

La notion d’arrangement institutionnel a notamment été formalisée par Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2019 et Olivier Williamson. Celle-ci est l’œuvre de chercheurs souhaitant transcender l’édifice conceptuel binaire qui marqua une grande partie de la pensée économique standard (d’inspiration néoclassique) de la fin du XIXe siècle au début des années 1970.
Il s’agit de formes où les parties concernées, encastrées dans un environnement institutionnel, s’auto-organisent et s’autogouvernent, c’est-à-dire construisent par elles-mêmes un arrangement afin de structurer leur décisions (potentiellement contradictoires) concernant la production et l’allocation de leur ressources dans le but d’en tirer un bénéfice collectif maximum.

Capabilité

Une « capabilité » ou « capacité » ou « liberté substantielle » est, suivant la définition qu’en propose Amartya Sen, la possibilité effective qu’un individu a de choisir diverses combinaisons de « mode de fonctionnements », les « modes de fonctionnement » étant par exemple se nourrir, se déplacer, avoir une éducation, participer à la vie politique. Nicolas Journet synthétise le concept d’Amartya Sen en indiquant que la « capabilité », qui aurait pu être traduite de l’anglais par « capacité », est « la possibilité pour les individus de faire des choix parmi les biens qu’ils jugent estimables et de les atteindre effectivement ». Il affirme que ce terme de « capabilité », un néologisme, « contient, à lui seul, l’essentiel de la théorie de la justice sociale développée » par Amartya Sen, et que « son écho auprès des instances internationales et des acteurs du développement humain en fait aujourd’hui une des raisons pour lesquelles le développement d’un pays ne se mesure plus seulement à l’aide du PIB par habitant ».

Commoning

L’historien américain Perter Linebaugh a suggéré dans son livre de 2008, The Magna Carta Manifesto, qu’il était peut-être plus productif de penser le mot “communs” comme un verbe plutôt qu’un nom, car il désigne : une activité plutôt […] qu’un substantif (Linebaugh, 2008). Il ajoute ensuite : parler des communs comme s’il s’agissait de ressources naturelles est, au mieux, trompeur et, au pire, dangereux, puisqu’une telle approche présuppose une vision économiciste de la nature et des gens conçus comme des ressources. En fait, le succès considérable de concepts tels que celui du “capital humain”, qui a été extensivement adopté après le travail précurseur de Gary Becker dans les années 60, illustre la progression de ce type de pensée. Becker a reçu le prix Nobel en sciences économiques en 1992 pour avoir étendu le domaine de la micro-économie à une grande diversité d’interactions et de comportements humains, y compris les comportements en dehors du marché (Becker, 1992).
Au contraire, comme l’explique Linebaugh, les communs, […] a minima […], expriment les relations dans la société qui sont inséparables des relations à la nature. Il ne peut donc pas s’agir de réduire et déformer la vie sociale et la nature pour les assujettir aux logiques microéconomiques et à la recherche de profits. Parler de commoning revient donc à adopter un nouveau cadre ontologique. Cela signifie appréhender les communs, non comme des ressources ou des choses statiques, mais comme des activités sociales fluides, en évolution, qui se déroulent dans des espaces partagés. […]

Vu sous cet angle, le commoning s’assimile à un processus de “création du monde” – une création collective d’un système social à travers l’expérience. Il établit un cadre ontologique qui est relationnel, ce qui implique d’être ouvert et capable de mutation. De plus, un tel cadre est pluriverse, en ce que les participants, malgré leurs grandes différences, se retrouvent pour collaborer ; et finalement, il est préfigurateur d’un nouveau type de système politique (Hollender, 2016).

Commun de capabilité

Les communs de capabilité sont un concept élaboré à partir du croisement entre l’approche par les capabilités du développement durable proposée par Amartya Kumar Sen et l’approche d’Elinor Ostrom sur les communs afin de pouvoir analyser les dynamiques collectives, de type PTCE, ayant pour finalité le développement durable et/ou la transformation sociale.
Le commun de capabilité est ainsi un commun au sens d’Ostrom mais orienté vers la transformation sociale dans le cadre cognitif du développement durable approché par les capabilités.

La notion de commun de capabilité est notamment développée par Geneviève Fontaine, associée aux capteurs de communs de capabilité en tant qu’outils d’opérationnalisation de cette notion.

Commun négatif

La notion de « commun négatif » est proposée et développée par Alexandre Monnin et Lionel Maurel.
Les communs négatifs désignent des “ressources”, matérielles ou immatérielles, « négatives » tels que les déchets, les centrales nucléaires, les sols pollués ou encore certains héritages culturels (le droit d’un colonisateur, etc.). Tout l’enjeu étant d’en prendre soin collectivement (commoning) à défaut de pouvoir faire table rase de ces réalités. Aussi s’agit-il d’un élargissement de la théorie classique des communs, notamment par rapport à l”approche « positive » des Commons Pool Resources proposée par Elinor Ostrom, qualifiée parfois de bucolique par Alexandre Monnin. L’approche par les communs négatifs tourne autour de deux axes majeurs a) le fait d’accorder une valeur négative à des réalités souvent jugées positives – les réserves d’énergie fossile, le numérique, etc. (ce que l’on pourrait qualifier de lutte pour la reconnaissance en considérant que tout commun est d’abord un incommun chargé d’une conflictualité) et b) le fait de bâtir de nouvelles institutions susceptibles de permettre à des collectifs de se réapproprier démocratiquement des sujets qui leur échappaient jusqu’à présent, en particulier la co-existence avec les communs négatifs, plus ou moins mis à distance (on peut songer aux récentes mesures prises par des maires au sujet des pesticides mais aussi au numérique demain, sur le même modèle). Cette réappropriation par le détour de nouvelles institutions pose de nombreuses questions : d’échelles, de compétences, de subsidiarité, de droit ascendant, etc.
Par ailleurs, les communs négatifs peuvent induire l’idée de communautés de non-usage, autrement dit, de collectifs cherchant à ne plus utiliser certaines entités autrefois qualifiées de ressources (à l’opposé, cette qualification constituait clairement une désinhibition facilitant et légitimant les démarches extractivistes).

Droits culturels

Les droits culturels constituent une vision de la culture fondée sur les notions de droit créance, de diversité et d’identité. Pour ses promoteurs qui cherchent à faire reconnaître cette notion comme droit fondamental, il visent à garantir à chacun la liberté de vivre son identité culturelle, comprise comme l’ensemble des références culturelles par lesquelles une personne, seule ou en commun, se définit, se constitue, communique et entend être reconnue dans sa dignité (Déclaration de Fribourg sur les droits culturels, 2007)

Droit à la ville

L’idée de droit à la ville (DALV) revient au philosophe et sociologue Henri Lefebvre, qui, en 1968, publiait un court manifeste intitulé « Le droit à la ville ». Entendu comme un droit de base, le concept de DALV est constitutif de la démocratie, il définit les villes comme des biens communs accessibles à tous les habitants.
L’idée de droit à la ville (DALV) est fortement mobilisée depuis les années 2000 par des mouvements sociaux, des chercheurs, des acteurs publics au Nord comme au Sud. Ces multiples réappropriations sont liées à la labilité d’une formule ingénieuse. Le DALV est ainsi à la fois un slogan politique, un concept analytique critique pour penser les processus d’exclusion en ville, et parfois un élément du répertoire des politiques publiques. Ces trois dimensions s’entremêlent, ce qui rend la notion difficilement réductible à une définition simple et univoque.

Incommun

La naturalisation du discours sur les biens communs a nécessité de s’engager dans une réflexion critique sur cet objet, ce que l’anthropologie a pu prendre en charge à travers sa capacité à mettre en perspective la production du social. Le succès du terme ne s’est en effet pas limité au milieu académique. Dans le contexte des dernières décennies, alors que des corporations, des gouvernements et d’autres types d’institutions politiques, privées ou non gouvernementales, ont dépossédé certains groupes humains de leurs ressources dans la mouvance de la mondialisation néolibérale, des stratégies de résistance et de lutte pour conserver ou retrouver le contrôle sur ces biens se sont développées (Nonini, 2006). Dans le même temps, les propositions théoriques sur les communs ont mis en valeur des solutions de rechange séduisantes face à la mainmise du marché ou de l’État sur ces ressources. Les anthropologues ont ainsi montré que ces luttes ne concernent pas seulement le contrôle des ressources matérielles mais également le contrôle des significations culturelles associées aux communs et aux processus qui les préservent ou les détruisent (Nonini, 2006). Les stratégies et les perspectives antagonistes des différents groupes se disputant les communs sont ainsi devenues des objets de recherche riches pour l’anthropologie. Dans le contexte sud-américain où la surexploitation des ressources naturelles s’impose comme un nouveau paradigme économique, le constat que chacune des deux parties réutilise le concept de biens communs et de communs pour légitimer, d’un côté, l’exploitation des ressources naturelles et, de l’autre, la lutte contre cette exploitation, rappelle la nécessité de repenser les fondements ontologiques de chacune de ces deux façons de concevoir la relation entre les humains et le monde naturel. Dans ce cadre, les peuples autochtones nous invitent plutôt à penser ces confrontations ontologiques à travers le concept d’« incommuns » ; celui-ci révélerait plutôt l’existence et la persistance d’une certaine incompatibilité entre différentes façons d’être au monde. En effet, alors que les entreprises extractrices font reposer leurs justifications sur la distinction entre nature et culture, et plus précisément sur le contrôle de la nature par les êtres humains, les peuples autochtones de leur côté se perçoivent en continuité avec le monde naturel, engagé dans une relation réciproque avec lui et dans l’obligation de le protéger (Blaser et De La Cadena, 2017).

Source : Extrait de Hervé Caroline, Communs, dans Anthropen.org, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2018 DOI:10.17184/eac.anthropen.086 (CC-BY-NC-ND)

La notion d’« incommun » est notamment proposée par Marisol de la Cadena et Mario Blaser dans Introduction aux incommuns comme une réponse conceptuelle à des questions soulevées dans un contexte de conflits entourant l’échelle et l’étendue de plusieurs « communs » menacés par l’extractivisme. Faire incommun (…), serait donc chercher des façons d’asseoir le commun sur une base plus solide de divergences productives reconnues. Il s’agirait d’accepter la pluralité des visions sur des pratiques pour réussir à composer ce monde en commun de manière plus solide et durable.

New public management

La nouvelle gestion publique (également appelée nouveau management public, de l’anglais new public management) est un concept né dans les années 1970. Elle nie — ou en tout cas minimise — toute différence de nature entre gestion publique et gestion privée. En conséquence, elle réclame une approche pragmatique des problèmes et un meilleur partage des rôles entre :

  • le niveau du pilotage (le pouvoir politique qui prend les décisions stratégiques et fixe les objectifs),
  • le niveau d’exécution (le pouvoir de l’administration ou du gestionnaire qui prend les décisions opérationnelles).
    Ceci afin d’améliorer le rapport coût/efficacité du service grâce à une modernisation accrue et un plus grand pragmatisme de gestion au sein des administrations publiques.
Pluralisme juridique

Dans les sociétés occidentales, il est fréquent d’adhérer à une vision du droit et de l’État qui se rapproche du concept de centralisme juridique et qui implique que le droit est uniquement composé de la loi de l’État (Griffiths, 1986).
Le pluralisme juridique prend le contre pied de cette vision et reconnaît l’existence simultanée de plusieurs ordres juridiques ou cadres normatifs et ce, quel que soit la période, le lieu ou le contexte général dans lequel on se trouve (Griffiths, 1986). Il semble que le concept ait été initialement introduit par des anthropologues du droit qui étudiaient l’évolution des systèmes juridiques dans des contextes de décolonisation où on pouvait observer simultanément plusieurs ordres légaux (par exemple, le droit colonial et le droit coutumier) mais il s’est vite répandu comme une approche analytique pour étudier toutes sortes de situations légales dans toutes sortes de contextes (F. and K. Von Benda-Beckmann, 2006). […]
L’approche pluraliste reconnaît d’une part la coexistence d’une multiplicité d’espaces sociaux avec leurs propres cadres normatifs et d’autre part l’importance des rapports sociaux et rapports de force dans la mise en place et le respect de ces cadres normatifs.

Selon Étienne Le Roy, le droit des communs n’est pas celui de la propriété. Et l’on peut même considérer que non seulement les dispositifs sont différents mais que les conceptions mêmes de la juridicité sont différentes et que la juridicité des communs repose plus sur des habitus ou interactions entre usagers, ressources et usages socialement valorisés que sur des normes générales et impersonnelles (Le Roy, 2011, 2014, 2015).

Stigmergie

La stigmergie est un mécanisme d’interaction indirecte et de collaboration entre, notamment, des organismes, des machines, des programmes, via leur environnement ou une plateforme dédiée. Le concept provient de la biologie, où l’on l’a observé pour la première fois chez les insectes sociaux. Au sens plus large, la stigmergie est une forme d’auto-organisation qui relève de la complexité et des « systèmes complexes ».

Source : Michel Bauwens, Jean Lievens, Sauver le monde. Vers une société post-capitaliste avec le peer-to-peer, 2015

Voir aussi:
– Fiche Assemblée des communs du cahier de propositions
– Wiki Remix The Commons

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