Assemblée des communs

Assemblée des communs

Une Assemblée des Communs est un espace politique et apartisan de coopération pour la production, le développement et la préservation des communs administré par et pour les citoyens.

Description

Résurgence des pratiques d’assemblée

Du Printemps arabe au 15M, des mouvements Occupy à Nuit Debout, les contestations populaires se multiplient ces 10 dernières années pour exprimer une volonté de démocratie radicale. Ces moments protestataires font naître de l’espoir mais aussi un potentiel de transformation qui s’incarne dans de nouvelles formes d’organisations. Cette nouvelle vague d’activismes alimente partout une culture horizontale et un mode d’organisation délibératif, tout en impliquant un grand nombre d’individus.

À l’échelon local, national ou européen, ou encore de manière thématique ou sectorielle, les pratiques d’assemblées se renouvellent et émergent en tant que réponses fonctionnelles pour ne plus permettre l’usurpation du mandat du peuple, la destruction des biens communs et, avec elle, la destruction des existences.

Chaque situation d’assemblée, depuis son histoire et ses perspectives, permet aux femmes et aux hommes qui y contribuent de se ressaisir de formes d’organisations démocratiques basées sur l’auto-organisation, le débat et le partage d’informations.

Assemblée des communs

Après l’obtention du prix Nobel d’économie par Elinor Ostrom en 2009, de nombreuses organisations en Europe s’emparent du concept de biens communs comme hypothèse pour faire face au profond désarroi des citoyens par rapport à la politique.

Dans un entretien enregistré en 2013, Valérie Peugeot, présidente de l’association VECAM, décrit l’ambivalence dans laquelle se trouvent les citoyens, épuisés face à l’action politique traditionnelle, les partis, les syndicats, les structures intermédiaires classiques, mais mus par ailleurs par une envie et un besoin de faire bouger les choses.

“Depuis 2007, nous nous enfonçons chaque jour un peu plus dans une crise économique et financière, qui croise une crise écologique. Une crise qu’Edgar Morin qualifie de civilisationnelle et culturelle.
De cette crise multi-facettes, nous ne sortirons qu’à la condition qu’une énergie collective se mette en place, qui ne se contente pas d’attendre soit le marché, soit l’État. Nous avons besoin de pluralité, à la fois dans les visions du monde que nous voulons porter, et dans les moyens de l’action collective.”
- Valérie Peugeot

Des organisations se mobilisent alors pour faire vivre en francophonie la question des communs au travers une diversité d’événements et de rencontres.

“Tous les champs de l’activité humaine qui appelaient une transformation étaient revisités. Il s’agissait d’analyser en quoi cette notion de biens communs pouvait aider à penser un monde qui se développe différemment, avec une implication beaucoup plus forte des citoyens, de manière à leur redonner confiance dans leurs capacités transformatrices.” - Valérie Peugeot

En 2015, le festival Le temps des Communs, porté par l’association VECAM, a vu émerger, pendant 15 jours, 344 événements dans toute la francophonie. Suite à cela, l’idée de fédérer les communs sous la forme d’assemblées pérennes était mûre.

Plusieurs assemblées des communs commencent alors à émerger explicitement à Lille, Toulouse, Brest, Rennes et d’autres grandes villes françaises. Des assemblées des communs se constituent également dans d’autres pays européens, soit à l’échelle municipale (Amsterdam, Helsinki,…), soit à l’échelle nationale (Italie, Grande Bretagne, …).

Dans un même temps, le concept d’Assemblée des communs est popularisé en France par Michel Bauwens, assorti du concept de Chambre des communs.

À l’échelle locale, ces assemblées sont constituées par des contributrices et contributeurs aux communs (tiers-lieux, jardins partagés, habitats coopératifs, foncières, monnaies complémentaires, logiciels libres, épiceries coopératives, fournisseurs d’accès à Internet associatifs, régies de quartier, universités populaires, etc.)
L’objectif de ces assemblées est d’abord d’être un forum d’échanges d’expériences et de favoriser la rencontre des commoners. Elles souhaitent également promouvoir la mise en place d’une économie éthique qui pourrait créer des moyens de subsistance autour des communs (Lille). Elles essayent d’identifier et de développer les communs en les cartographiant et les mettant en réseau (Lille, Grenoble, Lyon).
Chaque assemblée des communs invente son propre mode opératoire en tant que structure informelle. Celles-ci se fédèrent autour d’un wiki pour documenter et échanger leurs pratiques, d’un site internet pour communiquer vers l’extérieur, et des listes de diffusion pour échanger.

Expériences / Cas d’usage

Assemblée de quartier (Maribor, Slovénie)

Les mouvements protestataires en Europe de l’Est, tels que le printemps de Maribor ou la révolte de Tuzla, ont encouragé le développement d’assemblées citoyennes. Après les révoltes et actions de désobéissance civile, ces assemblées ont été considérées comme une nouvelle étape d’envergure pour répondre de manière critique, directe et créative à la dégénérescence du système politique et social.

C’est le cas à Maribor en Slovénie, où le groupe Inicijativa za mestni zbor promeut l’auto-organisation politique non partisane au niveau des quartiers de la municipalité.

Ces quartiers auto-organisés et ces communautés locales fonctionnent selon un principe d’assemblées populaires basées sur le débat, l’éducation et le partage d’informations. Mises en place au moins une fois par mois dans des sites gratuits destinés à un usage public, ces assemblées sont soigneusement modérées et fonctionnent par consensus afin de prendre des décisions inclusives.

L’enjeu est mettre un terme, au moyen d’un engagement politique actif, à la corruption endémique et aux anciennes méthodes de prise de décision politique qui ont plongé l’Europe de l’Est dans ces crises.
Cet engagement actif des citoyens dans des pratiques de cogestion des politiques urbaines locales doit ainsi préparer la communauté à une future participation politique directe et à la cogestion à d’autres échelons.

Assemblée des lieux intermédiaires et indépendants (Marseille, France)

En France, la Coordination nationale des Lieux intermédiaires et indépendants (CNLII) répond au besoin urgent d’une reconnaissance de la place et du rôle des lieux intermédiaires dans le paysage culturel et d’une mise en réseau de leurs projets respectifs. Celle-ci réunit un ensemble d’acteurs, préoccupés de commun(s) du point de vue des pratiques d’occupation d’espaces, du droits d’usage, des droits culturels.
Par un rapprochement avec le réseau des communs, il s’agit de mettre en travail les enjeux de documentation (construction d’un récit commun des lieux intermédiaires), les enjeux juridiques (droit d’auteur, droits culturels, droit d’usage et propriété foncière, droit du travail et notamment problématique du rapport de subordination dans le travail artistique) et les enjeux de co-construction avec la puissance publique.

En se constituant le 17 janvier 2020 à Marseille en Assemblée des lieux intermédiaires et indépendants, les acteurs cherchent à mettre en communs leurs visions et leurs pratiques qui touchent à la gestion des espaces urbains, au modèle de société, à la place de la société civile dans les décisions, au rôle de la création, de la créativité.

Cette déclaration en Assemblée vient notamment contribuer au travail pour la reconnaissance des droits culturels menés depuis de nombreuses années par des acteurs comme l’UFISC, Réseau Culture 21, la FRAAP, en s’appuyant sur la Déclaration de Fribourg sur les droits culturels de 2007. En s’articulant à la dynamique du réseau internationnal des communs, cette démarche se donne notamment pour perspective d’approfondir les travaux juridiques autour des droits des communs en France, à l’instar des réflexions du juriste Lionel Maurel ou encore du juriste de droit public Olivier Jaspart, qui interroge une contribution potentielle de la théorie du « droit administratif des biens communs » à un droit à la culture.

Assemblée des communs (Lille, France)

L’assemblée des communs à Lille est née en 2015 lors des Roumics, un événement organisé dans le cadre du festival Le temps des Communs.
L’assemblée des communs lilloise se présente comme un espace neutre de coopération, qui articule débats et actions concrètes sous forme d’ateliers auto-gérés organisés par les membres présents (ballades urbaines, financement des commoners, système d’information, etc.). Tous les membres de l’assemblée ont la possibilité de proposer un atelier, le mode de fonctionnement est celui de la stigmergie, et l’ensemble des productions est documenté pour le reste de la communauté.
Comme le raconte Simon Sarazin, contributeur avec lequel nous nous sommes entretenus en avril 2017, un axe de travail important de l’assemblée des communs lilloise s’est développé autour de la conception et le déploiement d’outils numériques génériques libres et open source, en vue de la mise en réseau, de la coopération et du développement de systèmes de financement au sein du réseau des communs.

L’assemblée des communs de Lille se donne pour objectif :

  • de répertorier et diffuser les actions liées aux communs, d’aider à mettre en lien les communs ;
  • de gérer la relation aux collectivités et institutions pour définir au cas par cas le cadre de ses actions et des actions de la collectivité (sur la réappropriation de l’espace public par exemple). L’enjeu étant de faire respecter le pacte démocratique ;
  • de coordonner et populariser l’accès, la défense contre les enclosures et le développement des communs sur leur territoire, en élaborant puis en faisant vivre démocratiquement une charte sociale des communs ;
  • de donner des avis sur les communs qu’elle protège et de tracer les choix des élus politiques qui ont signé le pacte démocratique ;
  • d’animer le débat sur les questions des communs, d’organiser des événements et rencontres sur le sujet qui la concerne ;
  • de faire le lien avec la Chambre des communs qui organise les activités économiques autour des communs. Cette chambre permet d’établir une relation coopérative gagnant – gagnant. Pour cela, elle demande aux acteurs économiques de participer à la rémunération des communs en contrepartie de l’utilisation des ressources et savoirs partagés issus des communs.

Assemblée des communs (Grenoble, France)

L’Assemblée des Communs de Grenoble (ACG) a été créé en mars 2017 lors de la Biennale des Villes en Transition. Cette première assemblée est le résultat d’une convergence entre plusieurs initiatives notamment la commission des communs de Nuit Debout Grenoble et la ville de Grenoble, puis de différents représentants d’associations dont Alpes Solidaires, Alternatiba, le Cairn, Terre de Liens, Planning & l’Atelier Populaire d’Urbanisme. Comme le décrit Anne-Sophie Olmos en 2017, alors conseillère municipale en charge du Contrôle de gestion et de la Commande Publique à la Ville de Grenoble, plusieurs groupes thématiques ont alors émergé autour des communs urbains, des communs de la connaissance, des communs naturels et des communs du bien-être et de la santé.

L’Assemblée est constituée à l’échelle du bassin de vie grenoblois, en cohérence avec les communs locaux auxquels elle s’attache. Elle agit par des actions de réseau et de lobbying concernant les communs immatériels et d’échelle supra-locale. L’AdCG se rattache à la définition de l’Assemblée des communs.org. Elle se définit comme un espace neutre de coopération pour la production, le développement et la préservation des communs par et pour les citoyens. Elle agit pour la valorisation et la réappropriation des biens communs afin de pouvoir en jouir, pour un modèle social durable et souhaitable, dans une volonté de préservation de toutes les espèces vivantes et de leurs milieux.

Assemblée européenne des communs

La proposition d’Assemblée Européenne des Communs a émergé en mai 2016, initiée par une communauté pilote de 28 militants issus de 15 pays européens, équilibré sur le plan du genre, travaillant dans différents champs des biens communs. Ce groupe est rejoint chaque jour par de nouveaux militants qui insistent sur le fait que l’Assemblée Européenne des communs est inclusive et ouverte, de sorte qu’un large mouvement européen puisse formé une alliance citoyenne et démocratique. Elle cherche à rendre visibles les actes de mise en commun des citoyens pour les citoyens, tout en favorisant l’interaction avec les politiques et les institutions aux niveaux national et européen.

L’Assemblée cherche à unir les citoyens dans un élan de solidarité trans-local et trans-européen pour faire face aux défis actuels de l’Europe et relancer le processus politique pour le 21e siècle. Les biens communs peuvent être compris comme un paradigme de transition qui met l’accent sur la coopération dans la gestion des ressources, des connaissances, des outils et des espaces aussi divers que l’eau, Wikipedia, le crowdfunding, ou un jardin communautaire. Leur appel décrit les communs comme :
« … les initiatives locales de coopération partant des habitants, basées sur le réseau qui sont déjà soutenues par des millions de personnes à travers l’Europe et le monde. Ces initiatives créent des systèmes autogérés qui répondent à des besoins importants. Elles opèrent à l’extérieur des marchés dominants et des programmes traditionnels de l’Etat et expérimentent de nouvelles structures hybrides. »

Plusieurs assemblées européennes des communs se sont tenues depuis 2016 à Bruxelles, Londres et Madrid.

Conditions de mise en œuvre ou de développement

Les contributeurs des assemblées des communs de Lille et Toulouse décrivent les conditions de mise en œuvre de la manière suivante :
Tous les citoyens sont invités à participer aux assemblées. Les profils sont d’ailleurs assez différents : du responsable associatif à l’élu local en passant par le commoner… on rencontre les acteurs du libre, des cartes ouvertes, des fablabs, des AMAP, des repair cafés, du développement durable, des incroyables comestibles, enseignants, chercheurs et bibliothécaires : une belle convergence des acteurs locaux ! Lors d’un tour de table, qui vise à créer de la cohésion, chacun se présente et décrit le commun ou la structure à laquelle il participe.
Néanmoins, en aucun cas une personne ne représente une organisation. Chaque personne participe à l’assemblée en tant qu’individu (et elles témoignent souvent de leur soulagement à pouvoir le faire). Il existe ainsi de grandes disparités entre les différents participants qui constituent pourtant des complémentarités : certains connaissent la notion de communs depuis de nombreuses années tandis que d’autres découvrent le concept et sont ravis de participer aux ateliers d’initiation proposés par les premiers.

Documentation

Le mode opératoire qui a été adopté jusqu’à présent est pair-à-pair et décentralisé. Néanmoins, les membres de l’assemblée sont très attentifs à laisser des traces écrites de leur travail (principalement dans le wiki) comme il est conseillé de procéder pour fonctionner en stigmergie, un mécanisme de coordination indirecte. Cela peut effrayer certaines personnes au début, voire être considéré comme inefficace car informel, mais en réalité, les ateliers sont opérationnels les uns après les autres et les objectifs sont atteints sans recourir à des votes ou à des réunions sans fin. Et c’est précisément cette « preuve de concept » documentée qui auto-légitime les assemblées.

Gouvernance

La gouvernance est actuellement basée sur le consentement : tant que personne n’oppose d’objection argumentée, les dossiers avancent. Après six mois de fonctionnement et sept assemblées, aucune objection majeure n’a émergé. Et si cela devait arriver, l’assemblée favoriserait sans doute le dialogue plus que le vote. L’accent est mis sur l’accueil des élans contributifs et sur la confiance a priori. Les membres de l’assemblée préfèrent construire quelque chose ensemble plutôt que de « se battre contre ».

Financement

Pour le moment, l’assemblée lilloise est financièrement soutenue par une association locale pour la location des salles. Elle travaille en étroite collaboration avec la Chambre des Communs naissante dont la vocation à terme est d’assurer le soutien financier des activités de l’assemblée. Malgré l’implication concrète de plusieurs personnes, la chambre des communs peine à se concrétiser et n’est encore qu’un concept car il semble plus facile de fédérer des individus que des structures établies qui sont souvent dépendantes d’institutions politiques et/ou associatives locales. Il existe néanmoins un site internet qui propose des explications pour aider à populariser ce concept et suivre l’avancée de la construction des chambres qui se fera sans doute naturellement une fois que la dynamique des assemblées sera suffisante.

Chartes

À Lille et à Toulouse, des « chartes sociales » sont en cours d’écriture. Ces textes visent à formaliser les objectifs des assemblées (éthique, valeurs partagées, interactions avec le tissu local), leurs gouvernance, outils, méthodes, partenaires,…

Enjeux, leçons apprises de l’expérience

Construire des cadres de légitimation des assemblées des communs

Les assemblées des communs répondent au besoin d’identifier les communs, de mieux les relier entre eux, de s’entraider, mais aussi pour créer des organes représentatifs du milieu des communs vis-à-vis de l’exterieur, des institutions et du marché.

Selon Michel Bauwens, iI faut légitimer cette assemblée et lui donnant un cadre et des missions claires et en les intégrant dans un nouveau pacte signé par les élus. Chaque assemblée pourrait commencer par un acte un peu symbolique d’assemblée constituante, en charge de :

  • Définir sa gouvernance
  • Définir son rôle et les limites de ce rôle (Communs de la connaissance (éducation, culture), Communs des ressources naturelles (agriculture, écologie, énergie), Communs de l’espace public et la mobilité (urbanisme, ruralité, etc…), Communs de la santé et du bien-vivre (intergénérationnel, accès aux soins, …)…
  • Écrire une sorte de texte fondateur : repartir de l’exemple en Italie avec la charte des communs urbains et la charte autour de la santé

Concevoir le design de la contribution des assemblées des communs

Selon Simon Sarazin, l’expérience de l’Assemblée des communs de Lille a montré que des enjeux de design de la contribution étaient à prendre en compte et à travailler pour pérenniser la communauté de manière inclusive. Comme il l’explique dans un entretien en 2017, il a fallu notamment, à Lille, articuler des espace de discussion et de convivialité à des espace pour “faire”, en étant très attentif à la configuration des lieux.

Ressources

Assemblées populaires

  • Quartier auto-organisés et communautés locales. Initiative pour une assemblée à l’échelle de la ville, Inicijativa za mestni zbor [PDF]

Assemblées des lieux intermédiaires et indépendants

Assemblées des communs

Assemblées européennes des communs

Fiche réalisée par

  • Sylvia Fredriksson

Publiée le