Habitat et logement en commun
Dans le domaine du logement, la perspective du projet des communs, consiste à la fois à déployer une autre manière d’habiter, et à répondre aux difficultés d’accès au logement dans un contexte d’intensification de la spéculation et de crise économique et financière.
Le projet des communs consiste à rendre visibles et à diversifier les stratégies d’accès au logement par la sortie du système spéculatif de l’espace occupé pour les fonctions de logement et en valorisant la propriété d’usage. L’expérience des personnes qui gèrent et améliorent ensemble les logements qu’ils occupent, dans une perspective de plus de bien-être - l’en-commun - est singulière à plus d’un titre. Elle est à la fois pratique et de l’ordre du politique. C’est un exercice démocratique. Le collectif se réfère à la dimension universelle des droits au logement, à la ville, pour défendre un projet au nombre de bénéficiaires limité. Enfin, paradoxalement, la propriété collective qui permet de contrôler les effets de la valeur marchande des biens, doit aussi en garantir l’usage exclusif individuel ou familial.
L’un des enjeux de la perspective politique des communs dans ce domaine est de renouveler les manières d’élaborer et mettre en œuvre les politiques de logement et d’urbanisme. Ce projet rejoint celui du mouvement pour le droit à la ville en l’invitant à explorer des approches alternatives qui permettraient de sortir de manière plus systématique de la dualité public-privé.
Contexte et problématiques
L’hypothèse de l’habitat alternatif
L’habitat alternatif est une notion aux contours flous. Elle recouvre plusieurs phénomènes et formes d’habitat qui partagent une dimension collective, sont fondées sur la participation et la coopération, replaçant le citoyen et l’habitant au centre des préoccupations et de l’action. Habitat participatif, habitat coopératif, co-habitat, habitat groupé, partagé, coopératives d’habitants, ou encore de co-housing sont autant de termes (parmi d’autres) qui révèlent la diversité de la constellation de l’habitat alternatif. Il peut être « formel » et renvoyer à des pratiques encadrées et/ou reconnues par les institutions, et bénéficiant d’un statut légal, ou bien « informel » tel le squat, le bidonville ou bien l’habitat nomade ou temporaire, en marge de la loi ou illégales.
Faire face aux crises
Le renouveau de l’habitat alternatif doit beaucoup à l’avènement des thèses libérales et de la mondialisation et à la crise économique et financière mondiale qui en découlent. La reprise en main de la problématique de l’habitat est une des manières d’y faire face et de combler l’effacement progressif des politiques sociales publiques. À partir des années 80, une partie de la jeunesse et une frange de la population, désireuses de changer de modèle, prennent conscience de ce besoin. Elles s’approprient les connaissances et les outils à dispositions, et constituent progressivement de nouveaux acteurs sociaux qui relèvent ce défi. Ils partagent la référence aux principes d’entraide, de solidarité, de participation, d’égalité, d’innovation et parfois d’autogestion. Ils adoptent des formes de collectifs (associations, fondations, patronats, mutuelles et coopératives) qui aujourd’hui se regroupent sous la dénomination d’Économie Sociale et Solidaire.
Valeur marchande / valeur d’usage
Les acteurs de l’habitat alternatif ambitionnent de développer un modèle basé sur des valeurs de solidarité et de participation. Leurs initiatives visent à sortir d’une double dualité : celle entre le secteur public (en principe voué au logement social) et le secteur privé (obéissant au marché à travers les promoteurs immobiliers), et celle entre le statut de propriétaire et de locataire.
Ce sont des stratégies alternatives d’accès et d’occupation du logement qui reposent avant tout sur des formes juridiques innovantes. Les mécanismes d’occupation, diffèrent de la propriété et du bail immobilier (location), dans la mesure où ils visent à favoriser une vie en commun, la formation d’un collectif cohérent et convergent sans lequel l’habitat n’est ni soutenable, ni émancipateur. La valeur d’usage du logement prend ici toute son importance. Elle permet au collectif de faire valoir son attachement au bien (logement) tout en reconnaissant les droits individuels à ses membres. Le détenteur des titres de propriété est idéalement le collectif, et l’individu ou la cellule familiale dispose d’une exclusivité d’accès aux utilités du bien.
Finalement, l’évolution des modes d’habitat alternatif est un indicateur des stratégies d’accès au logement mais aussi de l’émergence de nouvelles attentes en terme d’urbanisme (partage de l’espace de la ville et réduction de la ségrégation socio-spatiale) reliant les fonctions de logement aux autres problématiques urbaines.
Au cours de la dernière décennie, là où les premiers porteurs de projets devaient rassurer outre mesure leur voisinage et les autorités publiques, ils bénéficient à la fin des années 2010 d’une reconnaissance institutionnelle qui se traduit par des relations suivies avec la puissance publique, et le développement d’outils juridiques et financiers.
L’habitat alternatif est entré dans une phase d’organisation et de structuration des acteurs qui veulent gérer et améliorer, ensemble, les logements qu’ils occupent dans un même immeuble ou sur un même terrain.
Enjeux et propositions
Se mobiliser contre les expulsions
Les expulsions sont un facteur d’aggravation de la pauvreté. La lutte contre les expulsions doit associer pression sur les municipalités pour qu’elles adoptent des mesures de protection et mobilisation militantes pour développer une prise de conscience et les compétences et capacités d’organisation de la communauté.
Le mouvement des communs doit s’associer au mouvement pour le droit à la ville pour exiger des municipalités qu’elles prennent des arrêtés anti-expulsions sans relogement comme ont pu le faire Saint Denis, Vénissieux, Bondy, Stains, Gennevilliers, Aubervilliers, la Courneuve, Bagneux, Aubagne ou Grenoble. Pour Droit au Logement1 qui a mené cette campagne, “Les villes doivent devenir des sanctuaires et se positionner fermement face aux pratiques inhumaines qui voudraient que “sans argent, pas de logement”, et affirmer face aux préfectures et aux gouvernements qu’un toit est un droit, un droit pour vivre et se construire dignement, pour se reposer, pour se soigner, pour élever ses enfants et vivre en famille, pour recevoir ses amis et son courrier, pour exister dans ce monde.” (Source)
Dans le même temps, il est nécessaire de reconsidérer la situation des personnes expulsées ou en instance de l’être et leur permettre de travailler sur l’image et l’estime de soi, la reconnaissance de leur situation et l’organisation sociale de la lutte contre les expulsions. L’exemple de l’approche de la PAH2 en Espagne, que l’on retrouve dans le documentaire 7 jours avec la PAH. ¡SÍ SE PUEDE! peut être particulièrement inspirant.
Préserver et renouveler le modèle du logement social
Le logement social est un enjeu central des politiques municipales. Depuis le XIXème siècle, des mouvements sociaux et des municipalités ont tenté d’élaborer des alternatives pour faire face aux conséquences liées au processus de marchandisation du logement. Aujourd’hui ce processus est de plus en plus facteur de création d’inégalités, de ségrégation socio-spatiale et d’exclusion sociale. En France, ce modèle du logement social a permis la création de centaines de milliers de logement à travers le territoire permettant d’entrevoir la création d’un service public du logement. Le défi aujourd’hui est non seulement de maintenir et développer l’offre de logement social, mais aussi de renouveler le modèle de gestion et de gouvernance en permettant aux résidents de se co-constituer en communautés d’habitants en mesure de gérer ensemble leur habitat. Un changement de cette nature nécessite de réfléchir à la fois sur l’évolution du système de propriété et des instances de gouvernance, et sur l’accompagnement des communautés d’habitants. L’une des expériences les plus intéressantes dans ce domaine est certainement le travail des CLT Bruxelles3 avec les organismes de logement social en Belgique.
Reconstruire un récit commun par l’écriture d’une charte du logement social en commun.
Une telle charte décrit l’histoire de la création des logements sociaux sur le territoire, leur localisation et le nombre de logement du territoire, la gouvernance, les politiques publiques locales et des références aux droits fondamentaux liés au droit au logement, à l’habitat et à l’autonomie locale. Elle peut être proposée au conseil municipal et accompagnée par la signature des acteurs locaux afin de servir de socle de négociations entre les différentes parties en cas de conflit, de définir des règles de conduite de la puissance publique, des habitants et de leurs collectifs et des acteurs concernés, à l’image de la Charte des relogés à Marseille. À travers ce processus, l’objectif est également d’avancer vers la démocratisation du logement social. En effet, les politiques néolibérales ont profondément affecté le mode de gestion des bailleurs sociaux qui vont jusqu’à considérer les habitants comme de simples clients. Quand l’organisme HLM devient une entreprise qui rationalise ses coûts à outrance au détriment de la qualité de vie des locataires, qu’il sous-traite l’entretien du parc social, au point que les interlocuteurs des habitants deviennent des voix automatiques ou des centres d’appels délocalisés, la colère gronde légitimement chez les locataires.
À l’opposé de ce modèle néolibéral, nous pensons que les habitants sont d’abord des citoyens qui peuvent participer à la gouvernance de leur habitat et du logement social. Cette participation active des citoyens permet de préserver les logements sociaux des processus de privatisation ou de démolition. Cette participation active des citoyens nécessite une reconnaissance de l’expertise qu’ils possèdent en tant qu’usagers de leurs logements. Cela contribue à faire grandir le pouvoir décisionnel des locataires, ainsi qu’à affiner l’action publique sur le parc social de logements pour gagner en qualité, en durabilité et limiter les démolitions injustifiées de logements sociaux. L’association Alliance Citoyenne se mobilise à Grenoble pour la démocratisation des bailleurs sociaux, grâce à la force de nombreux locataires réunis pour défendre et élargir leurs droits.
Faire face à l’accaparement de l’habitat par les plateformes de location de courte durée
L’offre de locations meublées de courte durée s’est développée à partir du milieu des années 1990, dans les plus grandes villes (villes capitales), en raison de sa forte rentabilité comparativement au marché locatif.
Depuis une dizaine d’années, l’essor de plateformes digitales a accéléré ce mouvement aux dépends d’un usage des logements comme résidences principales.
Ce phénomène renforce les tensions sur les marchés du logement et contribue à une augmentation des prix et des loyers. Le développement des locations meublées de courte durée constitue un nouvel objet de politiques publiques en raison de son impact sur le secteur immobilier, l’économie du tourisme et de ses effets pour les résidents. À titre d’exemple, Paris qui compte plus 35 millions de nuitées touristiques (2015) et un taux d’occupation de ces hôtels parisiens proche de la saturation (environ 80 %) voit sa population décroître depuis 2012. Les facteurs immobiliers, notamment par la progression de près de 30 000 unités en 5 ans des logements inoccupés (logements vacants, les logements occasionnels et les résidences secondaires) expliquent en partie cette évolution. Alors que 62 % des Parisiens sont locataires de leur logement, les loyers ont augmenté de près de 20 % entre 2009 et 2016, passant d’une moyenne de 19 €/m2 à 23 €/m2 et par mois et les prix de vente des appartements anciens ont atteint leurs plus hauts niveaux historiques au cours de l’année 2017 à environ 8 940 €/m2.
Les administrations municipales mettent en place un ensemble de mesures visant à contenir ce phénomène : limitation du nombre jour de location des meublés touristiques par an, taxes de séjour perçues par les plateformes, autorisation préalable et recrutement d’agents chargés du contrôle (29 à Paris en 2016). Sous la pression de manifestations d’ampleur des associations de résidents au cours l’été 2014, au motif que l’essor du tourisme perturbait leur vie quotidienne et provoquait une montée des prix des logements, Barcelone a mis en place une réglementation et un dispositif de contrôle afin de réguler l’essor de l’usage de meublés touristiques et recruté 76 agents, dont 40 « visualitzadors » chargés d’identifier les fraudes en ligne et 36 inspecteurs sur le terrain.
Si les organisations d’habitants doivent se mobiliser pour faire pression sur les autorités publiques afin de faire évoluer les réglementations, elles peuvent aussi développer des initiatives de tourisme solidaire respectueuses de la société d’accueil et de l’environnement. C’est notamment le cas avec Les oiseaux de passage. H2H, devenue Les oiseaux de passage met en œuvre une coopération d’acteurs à l’échelle internationale afin de créer et gérer un outil commun de promotion et commercialisation d’offres d’hospitalité. Celles-ci sont conçues par ceux qui habitent un territoire et souhaitent faire découvrir leur environnement patrimonial. En lien avec les professionnels et les institutions publiques, Les oiseaux de passage développe des pratiques économiques qui contribuent au renforcement de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’Homme. La [Coopérative de résidents Hôtel du Nord, située dans les quartiers nord de Marseille œuvre à la préservation de l’identité de ses membres et de leur patrimoine culturel à travers le développement de l’hospitalité chez l’habitant et dans la région. La coopérative s’appuie sur la Convention de Faro pour mobiliser la puissance publique au service de ce projet.
Développer l’habitat alternatif
L’habitat alternatif, comme tiers modèle, rassemble les expériences qui visent à renforcer les capacités des résidents à produire un habitat comme une ressource partagée.
L’émergence de ce modèle nécessite la création de nouveaux partenariats entre les municipalités, les habitants, les associations et les coopératives pour développer des politiques qui préservent la ressource foncière, développent des mécanismes de financement adaptés et accompagnent la transition vers l’habitat alternatif des publics qui n’y ont pas accès.
Le rôle des municipalités est amené à se transformer pour mieux accompagner les projets des habitants en mobilisant les outils et politiques publiques pour co-produire des solutions alternatives de logements public-privé-communautaire dans le sens de la déclaration municipaliste des gouvernements locaux pour le droit au logement et le droit à la ville : « Nous, les gouvernements locaux, devons être en capacité de nous appuyer sur la force et le talent du tissu productif et social de nos villes pour coproduire des solutions mixtes, au lieu de nous concentrer sur des modèles de production du logement fondés sur le tout public ou le partenariat privé. Nous devons accorder la priorité aux subventions et aux exonérations fiscales pour la création de logements abordables. De plus, en fonction de l’option la plus adaptée à la situation de chaque ville, nous souhaitons porter l’ambition d’expérimenter les modèles liés entre autres exemples, aux coopératives de logement ou aux organismes fonciers solidaires (Community Land Trust) et à créer des opérateurs public-privé pour investir dans la création et la préservation d’un parc de logements locatifs abordable. De même, nous devons collaborer avec les organisations non gouvernementales et encourager la participation, l’autogestion et l’autonomisation des résidents en soutenant les bonnes pratiques telles que la conception collaborative ou l’auto-construction accompagnée. »
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Ressources
- Locations meublées de courte durée : Quelle réponse publique ? APUR, Note n°128, juin 2018
- Matthew Desmond, Avis d’expulsion : Enquête sur l’exploitation de la pauvreté urbaine, traduit de l’anglais par Paulin Dardel, Lux éditeur
- Transformer le service public de logement : démocratiser les bailleurs sociaux, Séminaire de l’Institut Alinsky, 13 juin 2018
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Droit au logement (parfois abrégé en DAL) est une association française loi de 1901 créée en 1990 dont le but est de permettre aux populations les plus fragilisées (mal logés et sans-logis) d’avoir accès à un logement décent, en exerçant leur droit au logement. Source : Wikipédia ↩
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La Plateforme des victimes du crédit hypothécaire, aussi appelée PAH (de l’espagnol Plataforma de Afectados por la Hipoteca), est une association espagnole militant pour le droit au logement, fondée en février 2009 à Barcelone et active dans toute l’Espagne. Sa création prend place dans le cadre de la crise immobilière espagnole de 2008-2013, conséquence de l’éclatement de la bulle immobilière du pays, et des mouvements protestataires ultérieurs de 2011-20121. Source : Wikipédia ↩
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Le Community Land Trust Bruxelles (CLTB) développe des projets de logement perpétuellement abordables à Bruxelles pour des personnes à revenus limités, sur des terrains possédés en commun. Par-delà les logements, le CLTB co-construit, avec les habitants et les associations de terrain, une ville juste et inclusive. Le CLTB est donc un développeur immobilier sociale qui offre une réponse innovante et durable à la crise du logement. Source : CLTB ↩