Propriété d’usage

Propriété d’usage

La propriété d’usage d’un bien est une forme de propriété légitimée par l’usage de ce bien, plutôt que par la détention d’un titre de propriété marchand.

Description

En France, le CLIP regroupe aujourd’hui trois initiatives qui ont adopté ce principe : La Déviation, un lieu indépendant de création artistique à Marseille, et dans le Perche, La Porcheritz, un projet d’habitat collectif, et les Hautes-Planches à Bretoncelles, un projet mixte artistique et habitat.

Ces trois projets fonctionnent de manière autonome comme un “archipel de lieux en propriété d’usage” ou une fédération d’initiatives reliées entre elles par leurs statuts. Le CLIP leur permet de s’empêcher mutuellement de remettre leur bien sur le marché en soumettant une éventuelle décision de l’un des collectifs d’usagers à l’approbation de tous les autres, chacun disposant d’un droit de veto.

L’habitat groupé ou les lieux de travail collectifs proposent recréer des conditions de vie qui permettent de réaliser l’achat en commun d’un bâtiment, sa gestion collective, le partage de pièces communes et d’autres ressources. La propriété d’usage cherche à compléter cette démarche en brisant l’hégémonie de l’économie sur notre façon de concevoir les liens entre les individus sur la seule base de la propriété marchande. La propriété d’usage permet de reconnaître l’attachement à un bien, des personnes qui font usage d’un lieu de vie ou de travail et leur droit de décider collectivement de sa gestion. Lorsque cet attachement se défait, elle incite le collectif à veiller à ce que la chose ne devienne pas une marchandise en se chargeant du transfert de propriété d’usage vers un nouveau collectif d’usagers, selon des règles qui lui sont propres.

Dans la propriété d’usage, le titre de propriété marchand est détenu par une personne morale. L’acquisition du bien peut recourir à toutes les formes de transaction légales et en usage. L’accès et l’usage du bien peuvent être payants. Il ne dépend pas du fait d’être ou non personnellement propriétaire, mais d’un modèle de gestion choisi par le collectif pour assurer sa viabilité économique, sociale, politique.

La propriété d’usage peut donc être mise en œuvre avec l’arsenal juridique existant. Elle s’appuie sur des montages juridiques qui obligent le collectif d’usagers qui souhaite remettre le bien sur le marché à obtenir l’approbation d’un collectif plus large, composé d’usagers de biens soumis eux aussi au régime de propriété d’usage, et pouvant, chacun exercer un droit de veto. Le collectif qui souhaite rompre le lien de la propriété d’usage doit alors pouvoir transmettre cette propriété d’usage à un nouveau collectif.

Créé sur la base d’une initiative similaire en Allemagne - le Mietshäuser Syndikat - le CLIP est une structure juridique française permettant d’assurer la propriété d’usage en réponse à des besoins immobiliers et sociaux de différentes natures : logement, espace de travail, espaces publics.

Expériences / Cas d’usage

Le CLIP

Le CLIP, association créée en 2006, propose d’instituer un rapport à l’habitat fondé sur la propriété d’usage. Il fournit des statuts juridiques valides permettant à des usagers de jouir collectivement des mêmes droits qu’un propriétaire, bien qu’ils ne puissent disposer d’une propriété pleine et entière, en particulier en ce qui concerne la vente. Ces statuts garantissent juridiquement les principes suivants :

  • Un collectif d’usager (donc une définition de ce qu’est être usager), dirigé par l’ensemble de ses membres ;
  • Un collectif de veille rassemblant les collectifs d’usagers, ainsi que d’autres membres partageant l’objectif d’instituer une propriété d’usage. Il est dirigé par l’ensemble de ses membres ;
  • Une personne morale propriétaire d’un lieu, dirigée et gérée par le collectif des usagers du lieu ;
  • Au sein de la personne morale propriétaire, chaque membre du collectif de veille intervient (à travers le droit de veto) sur toutes les décisions touchant la propriété (c’est-à-dire la modification des statuts, la vente, l’hypothèque, etc.) ;
  • La possibilité pour les usagers de faire usage des lieux à titre gratuit, ou moyennant un loyer en dessous des prix du marché ;
  • Limitation des pouvoirs et des responsabilités des gérants de la structure propriétaire ;
  • Possibilité de dons d’un lieu à un autre.

Le Clip travaille sur la mise en place d’un fond de solidarité, pour créer une économie solidaire entre les lieux au sein de la fédération. Il ne s’agit pas d’une complète gratuité.

Mietshäuser Syndikat

Mietshäuser Syndikat est une fédération de communs de logement qui fonctionne depuis 1987 en Autriche et Allemagne. Son nom signifie “syndicat des immeubles d’appartements locatifs”.

Au cours des trente dernières années, Mietshäuser Syndikat a retiré du marché immobilier plus de 130 immeubles locatifs. Cela a permis à plus de 2900 personnes ordinaires d’accéder en permanence à des logements collectifs abordables. Entre 2013 et 2015, le syndicat a presque doublé de taille, passant de 50 à 95 projets de logements affiliés. Fin 2018, 136 projets étaient associés au Mietshäuser Syndikat et 17 autres étaient intéressés à le rejoindre.

Sa mission consiste à aider à développer une fédération de biens immobiliers résidentiels gérés par les pairs et les résidents. Ceux-ci sont propriétaires des bâtiments, mais en même temps, ils paient individuellement un loyer à eux-mêmes et à la fédération pour assurer le bon fonctionnement de l’ensemble du système.

Vu de l’extérieur, le syndicat du logement apparaît comme un ensemble de projets de logements locatifs hétéroclites. Parmi ces biens répartis dans toute l’Allemagne - et maintenant, au-delà des frontières nationales, en Autriche et aux Pays-Bas - figurent un projet pour les femmes âgées, des bâtiments commerciaux, un grand immeuble d’appartements pour parents isolés et une ancienne caserne militaire reconvertie qui abrite maintenant plus de deux cents personnes. Quelles que soient leurs formes, leurs emplacements et leurs tailles, chaque projet représente une tentative de réappropriation des terrains, des bâtiments et des logements individuels pour répondre aux besoins de leurs utilisateurs.

Conditions de mise en œuvre ou de développement

La première condition pour la mise en œuvre de la propriété d’usage est l’adhésion au CLIP, et la création d’une association propriétaire avec le CLIP. S’ensuit après une condition plus importante : l’acquisition d’un bien immobilier mis en vente, par la mise en place du financement de l’achat.

Développement du dispositif : agrandir, développer un réseau de lieux, de collectifs, afin de rendre la fédération et le système de propriété d’usage plus solide. Le développement d’un réseau est une condition de la propriété d’usage car c’est la multitude des structures qui fait la robustesse de ce réseau. Plus les structures sont en nombre, plus la probabilité de dissolution de ce réseau s’éloigne. “Le nombre d’adhérents renforçant le modèle, cela vérifie l’idée du lien profond entre les communs et la conception de la puissance en politique comme puissance de la multitude” (Jules Desgoutte, co-coordinateur de l’association Artfactories/Autresparts)

L’accès au financement est une des conditions de développement de la propriété d’usage. Pour parvenir à de nouvelles formes de financement, plusieurs pistes sont envisageables comme créer un partenariat avec une banque qui soutiendrait le projet du CLIP, (comme la banque GLS Bank avec le Mietshaüser Syndikat sous certaines conditions de crédits bancaires), mais aussi avec les pouvoirs publics.

Enjeux, leçons apprises de l’expérience

Les banques françaises ne prennent pas de risques, et préfèrent parier sur le pire des scénarios concernant les échéances de remboursement. “Nous n’avons pas réussi à engager une seule banque dans ce projet” nous disent les activistes de La Déviation à Marseille. Le financement du projet est passé en partie par un financement participatif (crowdfunding) et par des apports et prêts privés. L’enjeu est donc de convaincre une banque d’adhérer au projet du CLIP, et de rendre sa politique en une politique éthique au service du citoyen.
Une fois l’acquisition du bien, le premier enjeu, pour l’association usagère est de rembourser les prêts contractés aux particuliers ou aux banques s’il y a. Le développement du modèle économique du prêt relais : nouveaux prêts contractés pour rembourser les anciens, en plus des fonds propres de l’association usagère.

Un enjeu stratégique majeur de la propriété d’usage est la mise en réseau des différentes structures juridiques de la propriété d’usage (exemple : les structures de fond de dotation).

Ressources

Fiche réalisée par

  • Frédéric Sultan
  • Yaelle Lucas
  • Lauren Lenoir

Publiée le