Négocier des communs urbains
Des dispositifs d’encadrement de la collaboration entre les citoyens et leur municipalité autour de la prise en charge, ou l’engagement dans des communs urbains sont mis en place par les administrations publiques. Ces dispositifs associent une règlementation et un ensemble d’outils de suivis, d’accompagnement, de publicisation, qui forme une ingénierie pour la ville participative.
Description
L’Italie a été le pays précurseur dans la mise en place de mécanismes de co-administration des ressources et de reconnaissance des communs urbains. Des règlements inspirés de l’initiative Bologne, mise en forme par l’association LABSUS, ont été progressivement adopté par de nombreuses villes avec souvent des adaptations aux besoins locaux. Certains règlements comme celui de Chieri (près de Turin) se distinguent en proposant d’ajouter à l’entretien des biens communs la notion de “participation au gouvernement”. Ce texte défend un rapport plus égalitaire entre institutions et citoyens qu’il désigne sous les termes de «subjectivité autonome» ou de «collectivité civique» en remplacement de « citoyen actif ». Il donne aux biens communs urbains le sens défini par la Commission Rodotà et fait explicitement référence aux droits fondamentaux. Un des éléments les plus marquants dans la charte de Chieri est l’introduction de normes réglementant l’auto-organisation des communautés qui s’inspirent explicitement des assemblées d’espaces occupés et en particulier du Théâtre Valle (Rome) et de l’Ex-Asilo Filangieri (Naples). Ces nouvelles normes juridiques créent un espace d’autonomie institutionnelle pour les habitants qui n’excluent pas l’action collective impulsée par l’autorité publique.
Expériences / Cas d’usage
Ex-Asilo Filangieri de Naples (Italie)
Après trois ans d’écriture collective et de revendication, le collectif de l’Asilo, un immeuble classé et presque abandonné, a obtenu l’enregistrement de la Déclaration « d’uso civico » (usage civique) comme un acte administratif de la Ville de Naples et la communauté de référence désignée est la communauté informelle des « travailleurs de l’immatériel ». L’orientation reste ferme en termes d’accessibilité, d’usage collectif et d’une forme participative de gouvernement de l’Asilo afin que les communs urbains ne se replient pas sur une communauté définie ni ne s’articulent sur une dynamique dichotomique entre ceux qui gouvernent et ceux qui en bénéficient. Dès lors, le commun n’est pas une entité statique : il est plus un verbe qui désigne le mode du gouvernement et d’accès qu’une façon de nommer un lieu ou un bien.
Entretien et régénération des biens communs urbains à Bologne (Italie)
À la demande de la municipalité, un groupe de juristes italiens réunis dans l’association LABSUS (Laboratoire pour la subsidiarité) à élaboré une réglementation permettant de renouveler les relations entre les « citoyens actifs » et l’administration. Ces règlements se concentrent sur la co-gestion des biens matériels, immatériels et numériques appartenant au secteur public. Les activités promues sont l’entretien et la régénération participative des biens « que les citoyens et l’administration, y compris par des procédures participatives et délibératives, reconnaissent concourir au bien-être individuel et collectif ». Il proposent aux habitants de « partager avec l’administration la responsabilité de leur entretien ou régénération afin d’en améliorer la jouissance collective ». Ce dispositif laisse le dernier mot à l’administration publique qui peut choisir les biens concernés (et exclure unilatéralement ceux qu’elle ne souhaite pas soumettre à cette pratique). En revanche, il reconnaît aux collectifs, y compris informels, le droit de présenter des recommandations, et de faire connaître le caractère commun d’un bien et en se proposant d’en prendre soin. Au cœur des règlements les « pactes de collaboration » régissent les activités que les « citoyens actifs » développent de concert avec l’administration, qui conserve un rôle de sélection et de régie.
Conditions de mise en œuvre ou de développement
La réglementation levier dans un dispositif complexe
En Italie, la diffusion du modèle de gestion négociée des communs urbains entre collectivités locales et citoyens a bénéficié d’une mesure contenue dans le décret-loi connu sous le nom de « Sblocca Italia » (« Débloque l’Italie », 2014). Ce décret permet aux administrations communales de concéder la gestion d’un bien aux citoyens s’engageant à en faire usage à des fins d’intérêt général. Il permet d’octroyer des facilités fiscales. Cet éventuelle remise de la dette fiscale risque d’engendrer l’idée que la participation aux communs est une contrepartie de l’impôt, et donc un droit réservé aux citoyens qui y sont soumis. Cette logique éloigne, voir s’oppose à celle émancipatrice et conflictuelle qui anime les réappropriations des communs.
Le fonctionnement de la proposition de LABSUS et les alternatives telles que celle mise en place à Naples, dépend de la mise en place d’une ingénierie qui permet d’articuler des outils de communication pour assurer la transparence des procédures, de gestions et de comptabilité à la fois accessibles aux citoyens et compatibles avec les règles de droit, d’expression d’intérêt des habitants et de délibération, et d’éducation tant des administrés que des agents publics aux communs. Le développement de cette ingénierie est une condition à la fois du passage à l’échelle et de la pérennité de cette pratique politique.
Enjeux, leçons apprises de l’expérience
Si les citoyens sont appelée à intervenir directement là où des institutions locales, sous la pression de l’impératif de l’équilibre budgétaire, ne sont plus en mesure d’administrer les services urbains, la philosophie de ce type de règlements, bien que novateurs, repose sur une interprétation de la subsidiarité plus verticale et descendante (top-down) qu’horizontale. La délégation de pouvoirs entre institutions locales et citoyens est envisagée dans le but de parvenir à une forte responsabilisation pratique des citoyens et non de remettre en cause les mécanismes traditionnels de répartition des compétences et de prise de décision. C’est pourquoi il est intéressant de voir monter en puissance des projets citoyens pour la réutilisation et la récupération de lieux ou de ressources et non leur simple maintenance.
Une subsidiarité caractérisée par un faible transfert de moyens, sans pouvoir de décision et notamment sans pouvoir d’agir en justice (sans droit opposable) manifeste une asymétrie de la répartition de compétences. Il serait donc souhaitable de produire des instruments, en mesure de valoriser les sujets impliqués dans la gestion des communs urbains et de les placer au centre de la prise de décision. Le résultat pour le déploiement des communs dépendra de la volonté politique des institutions locales mais également de la capacité des acteurs urbains d’en faire un usage conscient, irrévérent et pragmatique.